Alors que les blogs commencent à peine à pénétrer les entreprises, les deux affaires retentissantes, Cailler et la FNAC, viennent de porter un coup très sévère à leur potentiel de progression. La peur et la méfiance terrassent désormais le rang des dirigeants.
Attirés à priori par les attributs promettant d’être miraculeux des blogs et les valeurs positives que cela véhicule, les voilà tout à coup pris dans les glaces de l’angoisse face au péril blog. Accusé de tous les maux, le blog maudit, défraye maintenant la chronique.
Quelle est cette arme tant redoutée par les dirigeants et pourquoi et comment deux entreprises aussi expertes et aimées par le grand public, ont elles pu tomber à cause d’un blog
Rappel des faits LA FNAC
La FNAC connaît un changement de direction qui décide de mettre en oeuvre une nouvelle politique d’entreprise, correspondant plus aux objectifs économiques et aux pressions subies. Cette politique d’entreprise, incomprise et apparemment à des kilomètres de l’esprit de l’entreprise, crée un électrochoc tel que les employés montent au créneau avec la direction. Celle-ci, de manière péremptoire, refuse toute modification, campant sur ses raisons et ses positions (qu’elle juge juste pour l’avenir de l’entreprise). Un dialogue de sourd s’installe et la frustration et la déception deviennent telles que la seule voie possible semble alors de se faire entendre dehors, puisque l’on ne peut se faire entendre dedans. Ceci prend des proportions importantes car les frustrations internes font complètement écho avec celles de clients. L’entreprise se retrouve alors face à une fronde qu’elle ne peut plus ignorer.
Nestlé
Nestlé c’est un cas de figure similaire. La dirigeante choisi une direction diamétralement opposée à ce qui est considéré comme étant la marque de fabrique, l’esprit de marque de Cailler. Encore une fois, ce changement est jugé bon et nécessaire mais il est imposé de manière qui apparaît péremptoire. Les oppositions sont noyées dans l’oeuf ou ignorées. La frustration interne grandit au point que les langues se délient. Le lancement est en plus fait à grand coup de millions car on ne change pas une marque sans ce genre de moyens. A la frustration vient alors s’ajouter un sentiment de gaspillage. C’en est trop, cette frustration ignorée ou méprisée en interne se met alors à sortir de l’entreprise, où elle fait complètement écho avec le public. Les clients, déstabilisés par ce changement de cap ne s’y retrouvent plus. En plus d’être effrayés par le changement de positionnement et de prix, ils sont horrifiés quand ils prennent connaissance des millions dépensés dans ce changement qu’ils jugent idiot et inutile.
La FNAC et Cailler : autopsie d’une catastrophe annoncée
Qu’a t’il bien pu se passer pour que l’on en arrive là ? Le blog, catalyseur de ces deux mésaventures est-il responsable de ce qui est arrivé ? Comme dans toute catastrophe, il y a une série de facteurs dont l’alchimie s’avère désastreuse. Réduire ce qui s’est passé à « c’est la faute des blogs » est un raccourci un peu léger et trop facile.
Voici, ce qui selon moi, a fait que cette situation, des plus communes (un changement de direction dans une entreprise), s’est alors mise à prendre des proportions inattendues. Il y a des principes élémentaires, on va dire un terrain favorisant. S’il s’agissait d’une catastrophe naturelle, ces éléments seraient comparables à une faille sismique, une sorte de bête conjonction d’éléments qui fait que le risque est présent, quoi que l’on fasse.
- L’exposition : Plus une entreprise est exposée plus ce qu’elle fera sera regardé avec attention. La FNAC et Cailler sont très exposées. Lorsqu’il se passe quelques chose dans une PME, la presse, le grand public regarde cela avec moins d’attention que lorsque l’on parle d’un leader (et c’est le cas de ces 2 exemples). S’il se passe quelque chose, ce sera très visible.
- La pression : Plus la pression interne est forte et plus le risque est élevé. Pour les deux, la pression des résultats est intense. La rentabilité est une pression de tous les instants. Pressés par la concurrence de l’étranger pour les uns, des prix et d’internet pour les autres, la bataille est permanente. Cette pression est mal vécue à l’intérieur et crée un état de stress de fait, peu propice alors à la modération. Une goutte d’eau peut à tout moment faire déborder le vase.
La pression et l’exposition ne sont pas les seuls facteurs. A l’image du Tsunami inoffensif sur une terre déserte et dévastateur sur une île touristique, il y a eu des facteurs aggravants. C’est l’achimie de ces éléments mis en présence, qui a mis le feu aux poudres.
- L’émotionnel : Dans ces deux cas, les employés, tout comme les clients, ont développé un lien émotionnel fort avec la marque. La FNAC c’est l’agitateur bien aimé de mai 68 qui libère la culture. Cailler, c’est la marque porte flambeau des valeurs traditionnelles Suisse. Les deux entreprises ont su développer un « esprit de marque » assez exceptionnel. En faisant ces changements, les deux directions ont ignoré ce facteur émotionnel ou disons sous-estimé l’impact de leur décision sur cela.
- Un changement radical : Dans les deux cas, la direction opère un 180° dans sa stratégie. Ce changement est non seulement l’opposé de ce qui est considéré comme l’esprit de la marque mais il est brutal et donc vécu comme un drame. C’est un coup de trafalgar et vécu comme tel.
- Une décision unilatérale : La décision est prise en vase clos par la direction. Il n’y a pas de concertation, pas de préparation (en tout cas pas assez longue pour que cela soit compris), ce qui confère un caractère autoritaire et arbitraire à la décision.
- Une mauvaise gestion du changement : La FNAC tout comme Cailler, avaient très certainement d’excellentes raisons d’opérer ces changements (je ne juge absolument pas le bien fondé de leur position). Mais de toute évidence, elles ont négligé la nécessité de communiquer autour de cette décision. Le changement a été vécu comme un électrochoc. Quand l’idée a germé et pris forme, la direction s’est concentrée sur la mise en oeuvre de l’idée d’un point de vu technique. L’aspect humain a été visiblement négligé.
- La sous-estimation de l’hostilité au projet : Aveuglée par le besoin d’avancer et d’aller vite (ce qui est nécessaire lorsque l’on fait un volte-face pareil) la direction a omis les règles élémentaires : convaincre. La décision a provoqué un malaise important au sein des entreprises. La direction, concentrée sur le besoin de changement a pensé pourvoir ignorer les oppositions. Persuadée que la pression retomberait devant la preuve par les résultats, elle a choisi de mépriser le mécontentement qui grondait, pensant pouvoir museler l’opinion interne.
Le blog est-il coupable ?
L’une comme l’autre de ces entreprises ont donc pêché par vanité (se croire tout puissant) et par négligence (ignorer l’opinion publique). Le coupable ce n’est ni les blogs, ni les employés indiscrets et encore moins les clients hostiles.
Si le blog n’avait pas existé, aurait on accusé la presse ? Car nul doute que ces affaires auraient fait la une des tabloïdes. Le blog à certainement contribué à l’ampleur du phénomène, notamment dans sa rapidité de propagation. La sauce aurait peut être mis moins de temps à prendre si seuls les médias traditionnels avaient été prévenu…encore que. Le blog a au contraire donné des leçons de communications. Toutes les failles auraient pu être anticipées et colmatées si on avait pris la peine d’y faire attention.
La force de l’entreprise c’est de tirer partie des énergies qui la compose et pas de les brider. A trop vouloir bien faire, parfois, on en oublie d’expliquer, de communiquer.
Ni l’une, ni l’autre n’auraient souffert à communiquer plus, expliquer largement et travailler le changement dans sa dimension humaine. Peut on les blâmer pour autant ?
Non certainement pas à condition que cela ait servi de leçon. Les leçons sont elles tirées ? Là rien est moins sûr. La situation semble revenue à un status quo un peu ambigüe : un retour en arrière pour les deux entreprises mais pour combien de temps ?
Personne n’est satisfait du retour en arrière qui s’est lui aussi fait de manière calamiteuse au niveau de la communication.
Paradoxalement, le seul qui semble porter des séquelles de cette expérience traumatisante c’est le blog. Alors que la communication interne aurait dû être remise en question et avec elle la gestion du changement et les méthodes de management, c’est le blog qui en a pris pour son grade.
Qu’il serve de bouc émissaire, pourquoi pas. Mais il serait malhonnête de l’accuser de tous les maux. D’autant qu’à bien y regarder, il n’y eu qu’un rôle infime dans le déroulement de ces drames.
Alors ne nous trompons pas d’ennemis.